04 février 2008

La Défaite

La perfection n’est pas de ce monde.
Eighteen and One.
Les Patriots ont perdu.



C’est un abominable cliché, mais les Giants « en voulaient » plus. Ils étaient morts de faim. Ils avaient mis au point la défense idéale. Leur quarterback était en pleine confiance. L’Amérique toute entière était derrière eux. Et les dieux du football aussi.
10 minutes de possession de balle pour démarrer le match. Un record dans un Superbowl. Le ton est donné. Tom Brady et l’attaque toute-puissante des Patriots doivent patienter sur la touche.
Lorsque leur tour vient enfin, Maroney marque de près pour donner l’avantage 7-3 à New England en tout début de deuxième quart-temps. Ensuite, plus rien.
L’attaque des Pats n’est plus que l’ombre de celle qui terrorisait la ligue au mois d’octobre. Tom Brady n’est pas en rythme. Sacké 5 fois. Sans arrêt mis au sol. Il est vraiment blessé à la cheville, tout compte fait. Mais c’est sa ligne offensive qui le trahit. Vantée comme étant la meilleure de toute la NFL, elle est baladée par les athlètes de la defensive line new-yorkaise. Michael Strahan. Osi Umenyiora. Justin Tuck. C’est le chaos derrière la ligne. Brady n’a plus le temps n’ajuster ses passes. Et le score ne bouge pas.
Jusqu’au quatrième quart-temps. Eli Manning trouve David Tyree (qui ça?) pour un touchdown de 5 yards. 10-7 Giants. L’Histoire se met à bégayer.
Mais Brady n’est pas le meilleur quarterback de la planète pour rien. Le dos au mur, il trouve les ressources pour un drive de 80 yards, conclu par une passe de TD pour Randy Moss. 14-10 Patriots, 2:42 à jouer. 19-0, la perfection et l’immortalité sont à portée de main.
Sauf que.
L’impensable est sur le point de se produire.
90 secondes à jouer sur les 44 yards des Giants, troisième tentative et 5 yards à gagner. Le Superbowl se joue maintenant. Eli Manning est sous pression, les défenseurs des Pats sont sur lui, il va être sacké, mais il parvient à s’en sortir on ne sait comment, et réussit à lancer une balle qui reste une éternité en l’air, et David Tyree (encore lui ? mais qui est ce type ? ?) réussit la réception la plus improbable de l’histoire du football, la réception dont les new-yorkais parleront encore dans 50 ans, et la perfection vacille sur son socle.
4 actions plus tard, Manning trouve Plaxico Burress tout seul dans la zone de l’en-but. Touchdown. 17-14 Giants.
Moins de 30 secondes à jouer, la dernière passe désespérée de Brady vers Moss est incomplète. Game Over.
The New York Giants are the new Superbowl champions. Unbelievable.


Et pourtant, j’aurais dû le voir venir. C’était tellement évident.


D’ailleurs, quand je me suis connecté sur espn.com au réveil à 7h00 (non, je n’ai pas regardé le match. J’ai un métier. Et je n’ai pas encore vu la moindre image. Tout ce que j’ai écrit plus haut est issu de ma lecture compulsive de différents sites web ce matin. Pourtant en me lisant vous aviez l’impression que j’étais au stade pour vivre l’évènement en direct, je parie…) pour découvrir la photo d’un Michael Strahan triomphant, je ne suis pas tombé de ma chaise. Mes yeux ne se sont même pas écarquillés. Mes tripes ne se sont pas révoltées, et je n’ai pas eu envie de vomir non plus. (d’accord, j’étais à moitié endormi, mais quand même)
J’ai juste pensé: « OK, ça ne pouvait pas finir autrement. »
Dieu venait de trouver une nouvelle façon de me dire que j’étais un loser.


Car voyez-vous, je suis un fan des Patriots. Je sais que ça peut sembler ridicule, mais je suis bien obligé de l'admettre. Je peux même vous dire à quand ça remonte: le Superbowl en 2002, quand New England avait mis à terre les grandissimes favoris de Saint Louis, dans une des plus grosses surprises de l’histoire (c’était avant…) Depuis, mon intérêt pour la NFL a fluctué, mais les Pats sont restés mes favoris. Il faut dire que 3 SB en 4 ans, ça aide.
Mais cette année, tout était différent. Depuis septembre, la NFL était ma bouée de survie. Chaque dimanche, entre la fantasy et les Pats, je pouvais m’investir à fond. Etre un supporter, vibrer et célébrer les victoires. Et tant pis si ça voulait dire serrer le poing en silence devant l’écran de mon portable. Une soirée dans la semaine, ma vie valait le coup d’être vécue.
Car au fond, c’est à ça que sert le sport, peu importe qu’il se joue de l’autre côté de l’océan ou sur le petit stade communal: à donner l’illusion que tout ce merdier a un sens.
Et c’est le cas, apparemment, il y a vraiment un sens: dans la vie, quoique l’on fasse, on ne gagne jamais.


Il y a une semaine, je vous ai conseillé la lecture d’un article prémonitoire de Chuck Klosterman dans lequel il expliquait que la quête de perfection des Patriots serait bien plus mémorable et significative si elle s’achevait sur une cruelle défaite. Je me permets d’en retranscrire ici la conclusion:


If the Patriots win, they will just become this thing that scorched the earth for five months before capturing a trophy that was never in doubt. Future historians will describe this New England team as if it were a machine. Everyone will concede the Pats' superlative greatness, but the 19 wins will be just a collection of numbers. But if they lose -- especially if they lose late -- the New England Patriots will be the most memorable collection of individuals in the history of pro football. They will prove that nothing in this world is guaranteed, that past returns do not guarantee future results, that failure is what ultimately defines us and that Gisele will probably date a bunch of other dudes in her life, because man is eternally fallible.


Losing isn't everything. It's the only thing.


Je ne sais quoi rajouter. Si ce n’est peut-être que je savais déjà tout ça. Car je suis un échec ambulant, un gâchis sur pattes. Contrairement à Brady et aux Patriots, j’étais préparé à perdre. La lose ne peut pas me prendre par surprise. Le seul et unique accomplissement de mon existence est d’avoir réussi à rester en vie pendant 34 putains d’années.
Alors si les Pats avaient gagné, me serais-je senti un peu moins misérable?
Probablement. Tout au plus pendant 24 heures. Toujours bon a prendre, mais n’en parlons plus.

Les Patriots ont perdu.
Je suis un loser.


Il serait peut-être temps que je fasse quelque chose de ma vie.

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