Bonjour ! Nous sommes le dimanche 16 juillet 2006, la vie est belle, la France n’a toujours pas gagné une deuxième Coupe du Monde, le temps est magnifique et la chaleur est insupportable (environ 28°C : au-delà des capacités de résistance d’un finistérien pure souche). Plutôt que de cuire à la plage, pourquoi ne pas rester confiné dans la fraîcheur du salon et profiter du spectacle offert par la télévision, entre le Grand Prix de France de Formule 1 (notez la succession des majuscules) et la 14ème étape du Tour de France ? J’ai déjà fait mon choix.
Et c’est parti pour une grande après-midi de sport.
13h43 : Flavio Briatore est interviewé sur la grille de départ, son accent italien est toujours aussi inouï et il n’est question que de pneus pendant 30 secondes. Un dernier mot, Flavio ? « Je suis très confident pour la course ». Merci. La parole passe à une certaine Catherine, la Poule réglementaire d’avant Grand Prix. Mais j’arrête tout de suite de médire, car elle possède un accent américain impeccable en plus de son physique avantageux. Comme quoi TF1 est avant tout une chaîne d’information. Les interviews s’enchaînent à un rythme infernal et on retrouve Denis Brogniard (Monsieur Koh-Lanta) avec notre Ministre des Sports qui ferait bien d’en faire Jean François Lamour, pour une minute de chauvinisme de fort belle facture. Lamour : « Renault est toujours bien placé, Franck Montagny (il est tellement bon que c’est sa dernière course) est un peu plus loin mais il a envie d’en découdre. » Brogniard : « Renault va-t-il venger l’Equipe de France ? » Et le plus beau : « L’Etat français va-t-il pousser pour qu’un pilote français soit en course la saison prochaine ? » Cette seule question mériterait que je lui consacre un article spécial. Ouf, le gros Lamour disparaît de l’écran et revoilà la belle Catherine. Je me demande avec quel pilote elle va finir le week-end.
13h54 : Pub. Pour une raison inconnue la musique qui accompagne le pré-spot avec des jolies images de voitures au ralenti est « Another Brick in The Wall » part je sais plus combien de Pink Floyd. Est-ce une tentative ratée d’hommage à Syd Barrett ?
13h57 : Retour à Magny-Cours avec le duo Christophe Malbranque/Jacques Laffite. « On va voir un Grand Prix magnifique » Après le chauvinisme pour le pilote (dommage, il n’y a plus de français), l’écurie (Renault), et même les pneus (Michelin) je découvre avec stupeur qu’il en existe également un pour le circuit. Malbranque évoque à présent « la pression supplémentaire d’évoluer à domicile. » Pardon ? Alonso a la pression de courir dans la Nièvre ? Et Laffite me fait plaisir (cf « L’usure du pneu avant-gauche », archives de mai) : « Le pneu avant-gauche va beaucoup travailler. »
14h00 : Départ du tour de formation. Désolé, mais je n’ai absolument rien à dire là-dessus. J’imagine que seuls les professionnels peuvent en parler.
14h03 : Les lumières rouges s’éteignent, c’est parti ! Enorme déception, malheureusement aucun carton, pas même la moindre touchette ou passage dans le sable. Sinon, Alonso n’a pas chipé la deuxième place à Massa, au grand désespoir des commentateurs.
14h05 : Fin du premier tour. C’est sans doute le moment d’aller faire la sieste à l’ombre dans le jardin.
14h12 : Il fait définitivement trop chaud, je reviens donc me planter devant la télé, et devinez quoi ? C’est la pub. Je me vois contraint d’appuyer sur le bouton 2 de ma télécommande, et je bascule dans une toute autre dimension.
14h13 : 14ème étape du Tour de France, Montélimar-Gap, 180,5 km. Un directeur sportif espagnol nous explique pourquoi il veut gagner l’étape. 5 hommes en tête, 2 en contre-attaque. D’autres encore tentent de s’échapper. Henri Sannier est tout content, il appelle Jaja sur sa moto : « ça bouge devant, Laurent Jalabert ! » Réponse : « ça bouge, ça bouge ! » Une grande étape s’annonce.
14h15 : Retour aux voitures qui font du bruit. Schumacher en tête, 5 secondes d’avance. « On voit tout le public venu ici supporter Renault. » D’ailleurs ils sont tous venus en Mégane.
14h18 : Du jamais entendu : « Les pilotes ralentissent la cadence parce qu’il fait tellement chaud qu’ils veulent économiser leur moteur et leurs pneus. »
14h20 : Enfin quelque chose à se mettre sous la dent : une voiture s’envole. On est rassuré, le pilote n’a rien. De toute façon l’incident est aussitôt oublié car M. Koh-Lanta nous apprend qu’Alonso a dit à son stand que ses pneus étaient « OK ». Enthousiasme général dans la cabine des commentateurs.
14h41 : Oh non, voilà ce qui arrive quand on s’assoupit un quart d’heure dans une chaise longue au fond du jardin : j’ai raté le premier arrêt ravitaillement. Je ne me le pardonnerai jamais. Heureusement il y a des bonnes nouvelles : « Massa a perdu un dixième sur Alonso dans le premier secteur. »
14h47 : De l’avis général, les pilotes « cravachent ». Je croyais qu’il faisait trop chaud. Arrêt de Massa : 6’’4. Laffite : « Il va faire 4 arrêts ! » Mon Dieu, quelque chose d’extraordinaire va peut-être se produire. Je me laisse gagner par l’excitation. « Ah non, il ne fera probablement que 3 arrêts. » Je suis terriblement déçu.
14h50 : De nouveau l’ami Flavio Briatore en direct des stands. Je tente une reproduction fidèle de ses propos : « Ma, é, Ferrari il a fait 3 pit-stops, nous on va faire quelque chose. » Je vais être honnête avec vous, il en manque les trois quarts. En attendant, Malbranque et Laffite sont super contents : « 2 arrêts seulement pour Alonso, ça change tout ! »
14h52 : Sur la route de Gap, le peloton ravitaille. Encore 98 km.
14h53 : Arrêt au stand pour Schumacher : 6’’4. « Oh c’est court ! » Et Alonso passe devant. On frôle l’hystérie à TF1. « Le duel tant attendu est sous vos yeux ! »
14h54 : Quelle animation ! Les pilotes cravachent à tout va, Webber explose un pneu et part dans le décor, j’en veux encore ! Mais Laffite commence à angoisser : « J’ai vu une rainure sur le pneu arrière-gauche d’Alonso. »
14h56 : « La lutte fait rage ! » Peut-être, mais c’est l’heure de la pub.
15h00 : Saleté de pub. Le moment décisif du Grand Prix est passé à la trappe : Alonso s’est arrêté, Schumacher file en tête.
15h03 : « Wooooooooooooooooooooooooonnnnnnnn !!!!!! »
15h06 : Je me rends compte que je ne suis capable de reconnaître que 3 écuries : Ferrari (rouge), Renault (bleu ciel et jaune) et McLaren (argenté). Où sont passées les Jordan jaunes et les Jaguar vertes ? Aujourd’hui toutes les voitures sont bleues ou blanches. Les organisateurs ne devraient-ils pas imposer des couleurs différentes pour chaque écurie ? La course est suffisamment dure à suivre comme ça. Vous imaginez un France-Italie où les deux équipes joueraient en bleu ?
15h08 : Raikonnen cravache.
15h13 : Soyons francs, je n’aurais jamais cru à tant de suspense. Raikonnen revient à toute allure sur Alonso pour la troisième place ! Encore un peu et je vais me mettre à crier « Allez ! »
15h14 : Attendez… Mais qu’est-ce qu’il fait, Raikonnen ? Encore un arrêt au stand ? Bon, tant pis. C’est déjà la fin de ma passion pour la F1. Et il reste 16 tours…
15h15 : Schumacher repart avec 18 secondes d’avance après son troisième arrêt. Les derniers tours vont être longs, très longs.
15h24 : « 84 000 spectateurs présents pour encourager Renault. » Je suis sous le choc.
15h27 : Des types à vélo descendent une côte. « Attention quand’ème » prévient Jaja.
15h29 : Encore 5 tours. Je commence à perdre patience. Même les commentateurs ont visiblement abandonné : à l’antenne, 45 secondes consécutives de bruit de moteur.
15h30 : Pour la centième fois, on a compris : c’est le « Grand Prix du Centenaire ».
15h32 : Jacques Laffite ne craint pas la colère de SOS Homophobie : « Vous vous rendez compte où il serait, Ralph Schumacher, s’il n’avait pas perdu 10 secondes dans un arrêt au stand ? Il serait dans les fesses de Massa ! »
15h35 : La délivrance, enfin. 1 Schumacher, 2 Alonso, 3 Massa.
15h36 : Au moment où je zappe sur le Tour, je tombe sur de la pub pour du shampooing. Quoi ? De la pub sur le Service Public ? Et pendant l’étape ?
15h37 : 6 hommes en tête avec 5’35 d’avance sur le peloton. L’écart se stabilise. C’est juste pour que vous soyez au courant.
15h44 : « Fratelli d’Italia » !!! Je n’ai pas pu m’empêcher de retourner à Magny-Cours pour me faire un petit plaisir avec les hymnes.
15h50 : 62 km à passer avec Sannier(il ne s’est jamais vraiment remis de son interview mythique de Mitterand en 1988, quand il a dû lui demander s’il était de nouveau candidat à la présidentielle. Le vieux avait été formidable de mépris.), Fignon (après des années de Thévenet, c’est malgré tout un progrès), Jaja (« il n’y a pas de dopage dans le vélo »), Jean-Paul Olivier (avoir cette encyclopédie sur les genoux pendant trois semaines doit le fatiguer) et Thierry Adam (inoubliable partenaire de Charles Biétry lors de l’Euro 2004). Vais-je tenir jusqu’à l’arrivée ?
15h52 : Sincèrement, la vallée de la Durance a l’air d’être un coin magnifique.
15h53 : « Orpierre était un bastion du protestantisme qui a été déserté par les fidèles après la Révocation de l’Edit de Nantes. » Merci Jean-Paul. Je me coucherai moins bête ce soir.
15h56 : « C’est le pays de la pomme. »
15h59 : Encore de la pub ! Où passe ma redevance ? Ils l’auront voulu, je fais de la propagande, je note ce que je vois à l’écran. Dans l’ordre : Cochonou, Ford Mondeo, France Telecom, St Marc lessive, Jambon d’Aoste.
16h04 : J’aime quand le reportage radio de l’homme à la moto décrit exactement ce qui se déroule sous nos yeux. Même Henri Sannier se moque : « Je vous confirme qu’il n’y a qu’une équipe qui roule en tête du peloton. – Oui, oui, on l’a bien vu à l’image ! »
16h09 : Le peloton va-t-il revenir ? Décidément cette journée de sport est pleine de suspense. Mon petit cœur fragile pourra-t-il en supporter autant ?
16h19 : Chute à l’avant ! 3 hommes au tapis ! Dans un virage en devers un Espagnol a freiné trop fort et s’est retrouvé par terre tout en entraînant un Allemand par-dessus le rail de sécurité. Belle pirouette ! Mais on a raté le plus beau avec le Belge qui s’est foutu tout seul dans le fossé dix mètres plus loin : malheur, il ne remonte pas ! On le voit bouger un bras ensanglanté ! Vive le vélo !
16h25 : Kessler, l’Allemand, est reparti, mais il n’a pas l’air dans son assiette. Clavicule cassée pour l’Espagnol. Et pas de nouvelles du Belge au fond de son trou.
16h29 : Plus que 3 hommes en tête à 30 km de l’arrivée. Ils sont cuits.
16h30 : Nouvelle pub. Cette fois j’ai compris, c’est un spot toutes les demi-heures. Laissez-moi influencer vos esprits faibles : Cochonou, Panach’, Speedy, Nivea for Men, PMU.
16h35 : Thierry Adam est en pleine forme sur sa moto, il nous offre à présent une belle interview d’un directeur sportif italien. Hélas son accent n’est pas aussi bon que celui de Flavio.
16h39 : Le Belge est toujours dans son trou.
16h45 : A quand la côte d’arrivée tant promise ?
16h48 : Le Belge est parti à l’hôpital.
16h51 : « La Côte de la Sentinelle va faire très très mal ! » J’espère bien. C’est pour ça que je regarde.
16h55 : On y est enfin. Thierry Adam fait son boulot à l’arrière : « Lâché, lâché, lâché, lâché… »
16h56 : Attaque de Pierrick Fedrigo. Un Français en tête !!
16h57 : Chutes, crevaisons dans le peloton. Vraiment plus animé que la F1. Et plus que deux hommes pour résister devant. Je l’admets, je suis excité.
16h59 : « Ils ne s’entendent plus devant ! » nous apprend Jaja. Comme quoi, entre Français et Italiens…
17h02 : C’est beau de les voir en baver…
17h05 : Sommet du col : 33 secondes d’avance, c’est foutu pour le remake de la finale de la Weltmeisterschaft au sprint entre Fedrigo (Fra) et Commesso (Ita).
17h08 : A fond dans la descente. Je veux une autre chute !
17h10 : 20 secondes, à 5 km de l’arrivée. Vont-ils le faire ?
17h13 : 2 km. Ils vont y aller !
17h14 : Flamme rouge : ça va être juste.
17h16 : Vive la France ! Fedrigo l’emporte devant le sale Rital avec le peloton sur ses talons. La Patrie est vengée.
17h17 : J’éteins la télé.
Pas de podium donc, pas non plus de Vélo-Club avec Gérard Holtz pendant deux heures. J’ai suffisamment donné pour aujourd’hui.
PS : je ne vais pas vous mentir, j’ai voulu savourer un peu de Stade 2, une semaine après la Plus Grande Finale de Tous Les Temps et le Coup De Boule. Comme prévu, des pleurnicheries ininterrompues sur Zidane la victime. Victime de Materazzi, victime de la pression, victime de l’arbitrage video, victime de ses nerfs, etc. Je suis d’accord. Zidane est clairement la victime dans cette affaire. La victime de sa connerie.
1 commentaire:
salut, bravo pour cette chronique d'un dimanche d'été. Le vélo c'est quand même plus marrant que la F1. Il fait 38 degrés dans mon bureau (vrai de vrai - mes fenêtres donnent sur une véranda fermée) et je sens que moi et mon ordi on fera pas long feu.
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