25 juillet 2006

Introduction au Panthéon

Je crois que je resterai éternellement émerveillé de voir jusqu’où les divagations de l’esprit peuvent nous emmener. Une simple pensée, une vague idée vous vient à n’importe quel moment, et, avant de vous en être rendu compte, vous vous retrouvez en train d’échafauder la plus compliquée (voire délirante) des théories. Sous réserve évidemment que vous avez le temps et le loisir de penser. Ce qui est mon cas.
Bref, je me suis surpris ce dimanche, quatorzième jour de l’ère post-Coup De Boule, à songer avec mélancolie aux foules immenses et bigarrées communiant autour des héros de notre équipe nationale, à ces gens de toutes races et de tous âges vêtus de bleu et réunis pour célébrer la réussite exceptionnelle de nos footballeurs, ces symboles de la réussite de tout un pays, ces fiers représentants d’une France Blac… Oups, c’était moins une. Désolé, je me suis laissé emporter. Deux mots de plus et c’était la fin définitive de ce blog. Parce que jamais je ne me serai pardonné d’avoir écrit, enfin, vous savez bien, les trois mots qui commencent par un B… Il aurait fallu que je me pende, après. Ou au moins que je me crève les deux yeux.
Fort heureusement, mon intégrité intellectuelle ayant été préservée de justesse, je peux reprendre le fil de mes pensées. Je disais donc que les masses populaires abruties par la propagande étaient toutes vêtues de bleu. C’est qu’en effet les magasins vendant les précieuses tuniques (au prix fort : 60 euros le maillot. C’est Monsieur Adidas qui doit être content ) ont été dévalisés pendant quinze jours dans une course sans précédent au droit de se promener dans les rues avec « Zidane » inscrit en gros caractères dans son dos. Et c’est là où ma théorie prend naissance : que se passe-t-il avec les maillots ? Et que se passe-t-il dans la tête des gens ? On dirait qu’aujourd’hui tout le monde veut son maillot de foot. Et pas seulement pour taper dans le ballon au fond du jardin ou pour aller au stade supporter son équipe favorite, ce qui seraient selon moi les deux seules circonstances acceptables pouvant vous pousser à enfiler un maillot.
Non, désormais le maillot de foot est un vêtement comme un autre, on le porte avec un jean et sous une veste, et on parade dans les rues en envoyant à toutes les personnes que l’on croise le message suivant : « Ouais, j’suis un supporter de l’équipe de (___) et j’en suis vachement fier. T’as un problème avec ça ? » Je suis surtout vachement impressionné.
Avant, je me rassurais en me disant que seules quatre catégories bien précises d’individus pouvaient sans honte décider le matin de s’habiller avec le maillot de leur équipe préférée:
- les gosses.
- les supporters de Marseille (mais peut-on vraiment leur en vouloir ? Pardonne-leur, mon Dieu, car ils ne savent pas ce qu’ils font.)
- les Anglais.
- les rappeurs américains dont les clips doivent obligatoirement comprendre grosses bagnoles, bitches qui remuent leurs arrière-trains rebondis à deux centimètres de la caméra ET maillots de basket ou de football américain.

J’aimais beaucoup cette liste parce que je savais qu’en AUCUN cas je ne pourrais un jour en faire partie. Je me sentais en sécurité. Désormais je ne suis plus sûr de rien. Car plus personne ne semble à l’abri. Le maillot est en passe de faire son entrée dans toutes les garde-robes. Qui sait si je ne vais pas bientôt me retrouver à faire mes courses avec un maillot du Stade Brestois sur le dos ? Espérons que quelqu’un aura alors la bonté de m’abattre sur le parking du Leclerc.
J’en étais donc là, à regarder des types à vélo monter et descendre les Champs Elysées, l’esprit rempli de visions de mon corps gisant dans une flaque de sang près d’une file de caddies, quand un nouveau développement à ma théorie m’est logiquement apparu : est-il sain, est-il normal qu’il n’y ait plus d’âge pour avoir des idoles, plus de honte à montrer que l’on est un fan, que l’on ait 10, 25 ou 50 ans ? Quelques jours après la venue de Johnny aux Vieilles Charrues, le moment est venu de s’interroger, ce que j’ai fait pour vous.
De longues heures de réflexion m’ont permis de tirer la conclusion suivante : vous avez le droit d’avoir des idoles, et c’est une belle façon d’affirmer votre personnalité que de vous habiller comme elles (dans le cas de Zidane avec un maillot bleu, dans celui de Johnny avec un t-shirt noir orné d’une moto, d’une tête de loup ou d’un aigle. Ou des trois à la fois.) Il n’y a pas de honte à avoir une idole.
Enfin, jusqu’à la puberté. Parce qu’après…
La puberté est censée être le premier pas de ce long processus qui fera d’un enfant un adulte. D’accord, c’est un processus qui peut prendre du temps, énormément de temps, je serais le premier à le reconnaître. Sans doute faut-il avoir élevé deux ou trois gosses et avoir supporté la même femme pendant 25 ans (ou avoir divorcé trois fois, je ne saurais dire laquelle de ces deux expériences est la plus traumatisante) avant de mériter l’appellation d’adulte.
Toutefois, il existe des caps plus faciles à franchir. Cesser d’être une groupie en est un.
Prenons un exemple très simple. Vous avez 13 ou 14 ans (ça dépend de la vitesse à laquelle poussent vos poils), et jusqu’à présent le football a été toute votre vie. Et bien, il est sans doute temps de détacher petit à petit les posters de joueurs en short qui décorent votre chambre depuis vos 7 ans, même si ça signifie que vous allez les remplacer par des photos de filles semi-nues.
Autre exemple, même si là le mal est déjà fait, si vous étiez un fan des Verts de la grande époque (comprendre milieu des années 70, vous êtes donc beaucoup plus vieux que moi), vous auriez dû à l’âge bête plier soigneusement votre maillot Manu-France et le ranger au fond de votre armoire. Libre à vous par la suite de ressortir de temps en temps la relique vénérée et de vous souvenir avec émotion de votre innocence perdue. Au lieu de ça, comme des milliers de nostalgiques sans cervelle, vous vous êtes précipités sur la réédition du maillot mythique et vous n’hésitez pas à porter cette horreur verte devant votre famille affligée. Comprenez-moi bien : vous avez parfaitement de droit à 40 ans d’être un supporter de Saint-Etienne. Ce n’est pas moi qui vais vous reprocher de faire partie de ceux qui célèbrent 30 ans après la défaite en finale de la Coupe d’Europe. Si ça vous amuse, continuez. Mais cachez-moi ce maillot.
En résumé, passé 15 ans (ou est-ce plutôt 16 ? Ou bien 17 ? Je suis perplexe. A quel âge la puberté prend-elle fin ? Les scientifiques se sont-ils penchés sur la question ? Ont-ils une réponse ? J’aimerais bien la connaître, histoire de, vous savez, voir si je suis dans les temps), adieu les maillots, posters, les « quand je serai grand, je veux être comme Zidane » et les crises de larmes parce que votre équipe a perdu et que c’est pas juste.
Vous devez grandir et faire semblant d’être raisonnable. Il ne s’agit pas de passer d’un coup de la ferveur adolescente à l’objectivité à l’eau tiède, façon journaliste à L’Equipe (« je donne des notes aux joueurs »), ou à la froideur distanciée du sociologue (« j’étudie l’impact du football sur les masses populaires. ») Pas question de se priver du plaisir de gueuler dans son salon ni de ne plus vivre les affres de l’angoisse au moment de la séance de tirs au but. Mais pour la dernière fois, s'il vous plaît, gardez une certaine discrétion. Les gens dans la rue ne sont pas obligés de savoir que Zidane est votre idole.
Ce qui m’amène (enfin !) au bout de ma théorie. Si je ne risque pas de me promener en maillot de foot, c’est parce que j’ai résolu le problème des idoles : je n’en ai plus. A la place, j’ai un Panthéon.

PS: je suis désolé, mais vous allez devoir attendre un peu avant de connaître la composition de mon Panthéon. Cette introduction n'était pas censée durer si longtemps. Mille excuses. Mais je pense que vous pouvez tenir un jour ou deux.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

je ne tiendrai pas beaucoup plus d'un jour ou deux je te previens...