Vous vous êtes sans doute déjà réveillés au petit matin, un peu perdu, dans une nouvelle ville, un nouveau pays, avant de vous rendormir, une fois les idées remises en place, rassuré sur votre nouvelle adresse.
Pareil pour moi, mais à New York au moins, les choses sont claires: 6 heures du matin, déjà plus sommeil (ah, les joies du jet-lag), mais bon Dieu où est-ce que je suis, et puis des sirènes retentissent dans l'avenue plus bas, ah oui c'est vrai: Manhattan! Un petit coup d'oeil à travers les lattes du store pour m’assurer que les buildings sont toujours là, et c'est le bonheur. A tel point que j'arrive à dormir une heure de plus.
Après le petit déjeuner (du café et des croissants, mes hôtes sont français, je vous le rappelle), la question est désormais de savoir ce que font les New Yorkais les dimanche de printemps lorsque le soleil brille. Du vélo ? Excellent, bonne idée. Je suis si proche de l’euphorie que j’accepterais n’importe quoi, jusqu’à la plongée sous-marine et au saut en parachute, mais un tour de moutain-bike au pays de Lance Armstrong, bien sûr que ça m’intéresse ! Et tant pis si je n’ai pas fait travailler mes mollets depuis la dernière décennie, l’énergie de New York devrait suffire à me faire avancer.
Les pompiers du Queens
Début d’étape plutôt rude avec l’ascension du Queensboro Bridge, vénérable ouvrage à la pente peu adaptée à l’échauffement. Dans la descente, évidemment, tout va mieux, et le vélo redevient une idée géniale.
Nous sommes dans le Queens, donc, juste de l’autre côté de la rivière. Pas franchement la foule dans le coin. Dans une des rues à droite du pont, ça aurait même un petit côté ville fantôme. D. m’explique que c’est normal pour un dimanche, qu’il n’y a que des boîtes dans le quartier. Il n’empêche, ça fait plus Far West que mégalopole, d’autant plus que le soleil tape fort.
Le seul building des environs, celui de la banque Citi, est du coup immanquable avec ses 200m de haut. Pourquoi est-il là, tout seul ? Il n’y avait plus de place à Manhattan ? Bizarre, mais si le but était de se distinguer de la masse, alors c’est réussi.
Plus loin, au bout d’une voie sans issue qui nous ramène à la rivière, des pompiers à l’exercice. Rien de très violent, je vous le dis tout de suite, puisque les héros du 11 septembre s’y mettent à douze pour réussir à dresser l’échelle de leur camion, et ce pour finir par arroser un peu de bitume tiède pendant 30 secondes. Suffisant quand même pour captiver le petit T., bien calé sur le siège derrière son papa. Un des membres du FDNY ne ratera d'ailleurs pas l’occasion d’aller saluer son petit fan et de lui remettre un album de coloriage. De grands professionnels au travail, messieurs dames.
Pendant ce temps j’ai déjà filé vers la grille au bord de l’eau, près du restaurant bien nommé le « Water’s edge » pour admirer la vue sur les buildings de Midtown. L’ONU, au premier plan, dominé par le Chrysler, le MetLife, le Citicorp Center (274m, selon mes sources)… Rien que d’avoir ça sous les yeux, j’ai compris que ça valait le coup de venir. Juste tellement mieux en vrai. Carrément incroyable. J’ai soif.
Déjeuner à Brooklyn
Dépassés par le camion de glaces Mr Frostee et son entêtante ritournelle, nous nous dirigeons vers Brooklyn, via le petit Pulaski Bridge. Oserais-je m'en vanter, mais à notre allure modérée, les jambes semblent tourner toutes seules.
11 AM, enfin notre première rue animée. C'est Manhattan Avenue, quartier de Greenpoint. Pas mal de latinos, mais surtout beaucoup de Polonais dans le coin me dit-on. La confirmation ne tarde pas, à voir les devantures des boutiques. A un feu rouge, une banque précise: « Se habla espanol » et «Polski mowilem». Merci, mais je me contenterai de l'anglais.
Maintenant que T. s'est éclaté sur les jeux du McCarren Park et que j'ai pu voir à l'oeuvre les Poland Globe Trotters sur le playground (je ne suis pas impressionné), suite de la balade vers le sud à la recherche d'un restau. Ah, ils ont même un Father Popielusko Park! (prêtre polonais assassiné par les Rouges dans les années 80, pour les incultes).
Williamsburgh, au bord de la rivière, est un quartier en pleine rénovation, et les dimanches matins y sont plutôt paisibles. Parfaits pour la bicyclette. Pas mal de bars et de restaus au milieu des entrepôts plus ou moins défraîchis, et attention où l'on met les roues dans une chaussée bien défoncée par endroits.
T. a perdu ses lunettes de soleil en route (il les a jetées par terre?) avant que l'on ne finisse par opter pour la terrasse du Williamsburgh Cafe. Le soleil est à présent sans pitié, je récupère un journal gratuit dans la boîte en plastique rouge sur le trottoir (le « Village Voice », la bible des malades qui veulent servir de cobayes et des amateurs de consultations privées avec des « masseuses ») pour m'en couvrir le crâne en attendant mon burger et mes french fries. La grande classe.
Poursuite de la descente dans Brooklyn avec la traversée du quartier hasidim, sorte de secte juive très pieuse où tous les hommes ressemblent à Rabbi Jacob et toutes les femmes à des sacs. Les inscriptions sur les célèbres bus scolaires jaunes sont en hébreu, c'est là que je prends conscience que New York est bien la première ville juive du monde, loin devant Jérusalem et Tel-Aviv.
De toute évidence, les habitants de ce coin ne doivent pas se marrer tous les jours. Encore une chance que le million et demi de juifs de NYC ne suivent pas tous leur exemple.
Autre grave interrogation soulevée par cette balade : comment s'appellent ces frisettes qui leur pendent des deux côtés du visage? Je suis sûr de l'avoir su, j'ai le nom sur le bout de la langue, A. et D. également, mais rien n'y fera, pas même Wikipedia, ces mèches de cheveux continueront à nous tourmenter. Jusqu'à aujourd'hui, car j'ai enfin retrouvé la mémoire: ces foutues frisettes, ce sont des papillotes! (si votre version diverge, je serai ravi de la connaître).
Les Rois du Monde
Trêve de balivernes, j'arrête de vous ennuyer avec d'obscures traditions capillaires, car nous voilà au clou de la promenade: le mythique Brooklyn Bridge.
Que dire? Vous m'accordez un bon gros cliché? Merci, c'est sympa.
Alors voilà: le spectacle est à couper le souffle. Les monumentales arches du pont lui-même, le Manhattan Bridge sur la droite, l'Empire State Building qui se découpe à l'horizon nord, la vue sur toute la baie au sud avec la Statue de la Liberté que l'on distingue, et bien sûr les buildings du Financial District, juste en face. On s'habitue sans doute à un panorama pareil, mais putain de merde, arriver là pour la première fois et ouvrir de grands yeux... Totalement inestimable.
Garder le contrôle de mon mountain-bike face à un tel choc et sur une passerelle bondée est illusoire. Mieux vaut sagement poser pied à terre et sortir l'appareil numérique, même si je sais pertinemment qu'aucune photo, aussi bonne soit-elle, ne pourra rendre compte de ce que l'on ressent quand on se tient face à l'accomplissement ultime de la civilisation occidentale (désolé, c'est mon côté « fier d'être un ami de l'Amérique »...)
A la sortie du pont, le jeu consiste à remonter jusqu'à la 63ème rue Est, soit en gros 10 km dans Manhattan, en partant du City Hall, via Chinatown, Bowery, puis la Première avenue. Vous n'allez pas me croire, mais avec de bons guides, ça se fait tout seul: c'est dimanche, après tout, et le parcours est très plat. Un enfant y arriverait, même endormi sur un porte-bagages.
Derniers hectomètres, l'ONU est sur notre droite, pas spécialement impressionnant après une journée pareille. En plus, pas un seul drapeau en vue. J'imagine qu'ils les montent uniquement pour les caméras...
Ultime effort dans Central Park
4 PM: c'est uniquement parce que, de retour à l'appartement, j'ai commis l'erreur de m'asseoir, que je me sens tout à coup un peu las. Il suffit d'attendre que ça passe.
Une fois assouvie la curiosité à propos des présidentielles françaises (c'est fou comme c'est facile d'oublier ces évènements secondaires qui ont lieu si loin), nouveau bonheur dans cette première journée américaine: la NBA! Les Playoffs! En direct à la télé! Au milieu de l'après-midi! Ce pays est bien foutu, tout de même: on n'est pas obligé de se lever en pleine nuit ni de programmer son magnétoscope pour suivre Steve Nash et Kobe Bryant en découdre...
5:30 PM. Livré à moi-même en plein cœur de l’East Side. C’est la journée des premières. Impossible de me perdre, toutefois, car Central Park, c’est tout droit.
A propos, c’est l’occasion ou jamais de vous montrer que j’ai bien appris ma leçon et d’étaler ma science sur l’agencement des rues à Manhattan. En fait, c’est très simple : les rues vont d’est en ouest, et les avenues qui les coupent à angle droit vont du nord au sud. Pour arriver à Central Park, je traverse donc, dans l’ordre et vers l'ouest : York Avenue, puis 1st, 2nd, 3rd, Lexington, Park, Madison et enfin la célèbre Cinquième avenue qui borde tout l’est du parc. Compris ? Ce n’est pas moi qui fait les plans, alors je ne saurais vous dire pourquoi la cinquième devrait être la huitième ni pourquoi la première n’est pas vraiment la première, mais ne compliquons pas les choses.
Flânons plutôt dans les rues paisibles de l’East Side, parsemées d’hôtels chicos dont l’adresse sert de nom et d’arbustes aux fleurs blanches au parfum désagréable. Le plus difficile, bien sûr, est de regarder devant soi plutôt que de lever les yeux au ciel et tourner la tête dans tous les sens.
Débouchant sur la Cinquième, je constate que j’arrive trop tard pour la parade grecque. Les drapeaux sont toujours en place, mais on plie déjà les gradins. Bon, je sais à présent qu’il y a suffisamment de grecs à New York pour organiser un défilé, c’est déjà ça.
Promenade dans le parc. Laissez-moi vous dire que je ne suis pas tout seul. La végétation, plombée par un mois d’avril glacial, n’est pas précisément luxuriante, à l’exception des cerisiers du Japon, envahis de fleurs roses. Après une pause près d’un bassin (Conservatory Water), je suis à deux doigts de m’égarer dans les petites allées du Ramble, patrie des écureuils. (Comment dire… quand vous voyez votre premier écureuil du parc, vous vous dites : « Oh, comme il est mignon ! ». Quand vous voyez le deuxième, soit trois secondes plus tard, vous trouvez que c’est bien qu’il ait un petit copain pour jouer. Lorsque qu’une minute après la douzaine est atteinte, vous commencer à penser que c’est une bien grande famille écureuil… Et une centaine de pas plus loin, arrivé à 50 p… d’écureuils, vous voulez passer votre permis de chasse.)
La foule se presse pour boire l’apéro à la Boathouse, sur les rives du Lake, couvert de petites embarcations à rames et même d’une gondole. Pas une mauvaise façon de terminer son dimanche, je trouve.
Le pilote automatique enclenché, je quitte la Bethesda Terrace pour m’engager vers le sud sur le Mall, large allée de graviers bordée de bancs et d’arbres aussi majestueux que tordus (des ormes, j’ai vérifié), ce qui me conduit jusqu’à un affleurement rocheux, où je m’arrête pour contempler la forêt de buildings de Central Park South. Comme je ne m’autorise qu’un gros cliché par jour, je tairai mes impressions.
OK, il est bientôt 7 PM, j’ai encore 20 minutes de marche pour rentrer, peut-être est-il temps de boucler cette journée. Queens, Brooklyn, le pont, la remontée de Manhattan, Central Park : à ce rythme-là, j’aurais tout vu demain soir.
A mon retour, A. et D. m’expliquent que peu de leurs précédents invités avaient passé une première journée aussi bien remplie.
Soit. J'ignore avec quelles intentions ces gens s’étaient déplacés jusqu'à New York.
Personnellement, je ne suis pas ici en villégiature.
1 commentaire:
Génial. Et merci pour l'humour.
Go on !
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