10:25 AM: je bois du café au lait (Grande Latte) dans un énorme gobelet en carton chez Starbucks, à Union Square. Il est déjà l’heure de récapituler ce début de journée et ses 90 minutes de marche :
Quelques blocks en direction de l'ouest à la descente de l’appartement, pour commencer, histoire de se mêler aux New Yorkais se rendant au travail. Les portiers d'hôtel qui nettoient les trottoirs au jet, les jeunes femmes pressées avec leur portable et leur gobelet de café, les marchands de muffins dans leurs carrioles, le grand black qui distribue les journaux gratuits à la sortie du subway en gueulant « Metro, metro! », la circulation pléthorique (6 taxis de front qui attendent le feu vert), les ouvriers qui déballent leur matériel et les joggeuses qui reviennent du parc: c'est bon d'être un touriste au milieu des gens qui s'activent.
Lorsque je débouche sur Park Avenue au niveau de la 63ème, je décide, n’écoutant que mon instinct, de mettre cap au sud et de m'engager dans le flot des employés, irrésistiblement attiré par la silhouette du MetLife Building qui domine toute l'avenue et le minuscule (tout est relatif) Helmsley, étrangement placé juste en dessous. Quoi de mieux pour se mettre dans le bain, au lendemain d'une balade dominicale, que de participer à la ruée vers les bureaux sur l'avenue la plus chic de New York? Tant pis si tout en moi trahit le touriste qui marche la tête en l'air, écoeuré par les immeubles (sans compter que j'ai emprunté un bermuda à D.), j'essaie de me mettre dans la peau de ces gens: ce qui veut dire accélérer sérieusement l'allure et ne pas sortir l'appareil photo. J'aurai tout le temps pour ça plus tard.
Me voilà à présent dans le hall de Grand Central Terminal. Ce n'était pas prévu, mais une fois passé sous le Helmsley et à travers le MetLife, l'entrée était juste en face, alors... Deux minutes d'arrêt, le temps de lever les yeux vers l'immense voûte ornée des constellations du zodiaque, d'où pend un drapeau américain aux proportions, disons, intéressantes, puis de chercher par quels escaliers sortir. Il me faudra plus d'une tentative.
La suite, c'est une longue descente de Lexington Avenue, tandis que je viens de me rendre compte que j'ai laissé cartes et guides à l'appartement. Un peu comme si j'avais inconsciemment voulu augmenter le niveau de difficulté de mon premier raid en solitaire dans la mégalopole. Seuls mon sens inné de l'orientation et la qualité de la signalisation new yorkaise pourront désormais me sauver de l'errance. Je suis raisonnablement optimiste.
Les trottoirs ici sont presque déserts, mais à une intersection je me retrouve embarqué dans une conversation avec une sorte de clodo qui ne me réclame pas de fric mais mon nom de famille: « What's your last name, young man? » (le sien c'est Burns, B-U-R-N-S) et qui ne m'insulte pas mais m'appelle « Pretty face ». Je suis flatté. Le petit bonhomme lumineux s'allume, je lance un « Have a nice day » totalement sincère, et je file. Je viens de me tirer avec les honneurs de ma première rencontre avec la faune locale.
Enfin l'avenue s'arrête, avec le charmant Gramercy Park (tellement charmant qu'il est fermé au public),et je prends à droite avec une seule idée en tête: le prochain revendeur franchisé de café et de beignets sera le bon.
En route vers la croisière
Retour chez Starbucks, où ceux qui n'ont pas leur laptop allumé sur leur table sont en minorité. Hé, ma voisine a le même portable Motorola que celui qu'A. m'a gentiment prêté en cas d'appel de détresse! (elle m'avait prévenu c'était le modèle le plus répandu.)
Bien, il faut que je sorte d'ici avec un programme pour la suite de la journée. Pourquoi pas une balade en bateau vers la Statue de la Liberté? J'aurais tort de ne pas profiter de l'été, maintenant si seulement je tombais sur le bon métro pour descendre à la pointe sud...
Evidemment , il a fallu que je me plante. Je ne pourrai pas dire que je n'avais pas tenté le diable, sans carte ni expérience du réseau souterrain, mais comme je suis vite retombé sur mes pattes... En deux mots, tout avait bien commencé, j'avais pris ma Metrocard valable 7 jours au distributeur, trouvé une ligne qui semblait m'emmener tout en bas de Manhattan puis fini par monter dans une rame tranquille. Les stations paraissaient défiler dans le bon ordre, mais quand je me suis retrouvé sur un pont au-dessus de l'East River, j'ai su qu'il y avait comme un problème: j'étais en route pour Brooklyn.
Pas de panique, il a suffi que je descende à la première station (DeKalb) récupère la bonne ligne (la R), demande confirmation à un autochtone fort cordial, et le tour était joué! Whitehall Station, le monstrueux One New York Plaza se dresse devant moi, je suis dans le quartier de la finance.
Evitant de trop regarder derrière moi l'accumulation surhumaine des buildings, je me dirige vers la station de ferry pour Staten Island. Difficile à manquer, même pour un touriste en perdition.
Un quart d’heure d’attente dans le terminal flambant neuf, et j’embarque avec la foule. Un ticket ? Pourquoi faire ? C’est gratuit ! Et oui, les gauchistes français qui, toujours en retard de deux guerres, réclament sans arrêt la gratuité des transports en commun pour les chômeurs, devraient venir voir comment ça se passe en Amérique ! Zéro dollar pour une balade dans la baie de New York, c’est quand même autre chose qu’un ticket gratuit pour faire Montreuil-Bastille ! (NB : je précise cependant que ce ferry est la seule chose gratuite à New York : ne vous faites pas d’illusions).
C’est parce qu’il fait trop beau pour s’enfermer dans un musée ou dans une statue que j’ai décidé de ne m’arrêter ni à Ellis Island ni à Liberty Island : un choix que je ne regrette pas tant le trajet en bateau permet de tout voir au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Manhattan. Encore faut-il se faire une place sur le pont arrière pour faire face à la skyline et ne pas manquer le passage près de la Statue de la Liberté : elle est bien assez grande, ça suffit largement. Oh, et au fait : tout ce que vous avez pu lire ou entendre sur la baie de New York est véridique. Un de ces moments « Pincez-moi je rêve » que l’on n’oublie pas.
A Staten Island, si vous êtes assez rapide ou assez chanceux, un autre ferry vous attend pour repartir dans la foulée vers Manhattan. Je fonce m’installer sur le pont, face au soleil, tant pis pour cette vilaine rougeur sur mon cou et si je viens de casser mes vieilles lunettes pourries. 100% de touristes autour de moi, des italiens, un couple de yougos (?) et trois starlettes est-européennes tout droit sorties du casting d’un porno hongrois au rabais (chacun ses références culturelles). Je ne retournerai vers l’ombre à bâbord que pour suffoquer une nouvelle fois face au spectacle des buildings, juste avant l’arrivée. Il est 1PM, la matinée a été bien remplie.
NYC, Financial Capital of the World
J'entame la remontée de Broadway à Bowling Green, où naît l'interminable artère, en arpentant le trottoir du « canyon of heroes » (là où l'on fait pleuvoir les confettis sur les personnalités en décapotable). Des plaques en métal placées tous les deux ou trois mètres nous rappellent ces anciennes gloires: là par exemple, je viens d'enchaîner 3 dictateurs sud-américains et 2 équipes de baseball.
Je suis encore loin d'être blasé, car le « canyon » le plus démentiel, celui du pognon, ne tarde pas à surgir: Wall Street. Après avoir tourné à droite en face de Trinity Church, il faut oublier le soleil et se laisser happer par les murs de béton qui vous cernent. Les jours comme aujourd'hui, on peut toujours lever désespérément les yeux pour apercevoir le ciel. Quand il pleut, aucune chance.
Les flics sont là, les yuppies ont tombé la veste pour aller chercher à manger et les touristes ont l'air de touristes: épuisés et stupéfaits. La façade du New York Stock Exchange (pour les neuneus: le Bourse) arbore une immense bannière étoilée. Pourquoi se gêner?
Je me retourne pour apercevoir à l'autre bout le clocher de l'église, littéralement écrasé par les autres constructions. Les clochers ne sont-ils pas censés surplomber les toits des villes? Autre question : comment un endroit pareil peut-il tout simplement exister ?
Je retrouve les bords de la rivière, encore secoué par ce passage dans l'allée du pouvoir. Si l'effet recherché par les gens qui ont bâti ce quartier était de dégager une impression de puissance absolue, le moins qu'on puisse dire, c'est que sur moi, ça a plutôt bien marché. Je ne suis décidément qu'une petite merde insignifiante dans ce Monde.
Après un rapide coup d'oeil sur le pont de Brooklyn, je repars vite me cacher du soleil, comprenant tout à coup que je frôle l'inanition. A la recherche du premier marchand de bouffe je n'ai donc pas le temps de me recueillir à la Vietnam Veterans Plaza ni de m'asseoir à l'ombre du Four New York Plaza, énorme cube de brique rouge aux fenêtres en forme de meurtrières. Mon Dieu, mais que font toutes ces voitures de flic dans Water Street? Une alerte à la bombe? Un hold-up? Mon visa qui est déjà périmé? J'intercepte la conversation entre un passant et un genre de chef: c'est juste un exercice de routine, ils se rassemblent comme ça tous les jours en un endroit différent de la ville. Bon, tant qu'ils n'interdisent pas l'accès au MacDo, je ne m'en tire pas trop mal.
C'est en mangeant mon deuxième cheeseburger, celui qu'il a fallu que je descende réclamer à la serveuse noire (oups, elles sont toutes noires) que j'ai la révélation suivante: il faut que je trouve un boulot ici. Rien que pour avoir le sentiment d'être là où les choses se passent, d'être au centre du monde. (NdA: bien entendu, tous les projets élaborés et les déclarations faites au cours de cette semaine américaine et de celle qui suivra seront à mettre sous le coup de l'émotion et n'engagent absolument à rien. Si ce n'est à acheter la série complète des DVD de Sex and the city.) Heureusement ces fantasmes irréalistes sont vite interrompus par le départ des flics, juste en dessous. Au moins 50 voitures. Je n'exagère pas.
Ground Zero
Pour une meilleure perspective sur le vide laissé par l'écroulement des tours jumelles, remonter Broadway et prendre à gauche dans Liberty Street: l'évènement historique qui définit notre époque s’est produit juste là. Je ne peux pas refouler un petit pincement au cœur. Et je tiens à préciser aux tenants de la théorie du complot que j'aurais été prêt à les écouter si j'avais constaté que les tours existaient toujours. Mais non.
Je m'approche des grues et des grilles du chantier à la recherche du « mémorial », un petit truc de rien du tout au coin nord-est du périmètre, près des escaliers de la « World Trade Center Path Station », la station de train et de métro reconstruite en sous-sol. Qui aurait cru à une telle sobriété, à ce « lieu de mémoire » bas de gamme? Accrochés au grillage, des photos de sauveteurs et la liste des victimes. Rien de plus. Les Américains vont forcément se rattraper avec le complexe en construction, mais tout de même. Des touristes écoutent un clodo excité qui joue le rôle du « survivant » leur raconter comment il a vécu le drame. Pas très crédible.
Et pas grand chose à voir donc, mais je mentirais si je vous disais que les cinq minutes passées là ne m’avaient pas donné envie d'aller massacrer du terroriste à mains nues. L'occasion aussi de rappeler à mes compatriotes que les méchants, ce sont ceux qui ont détruits ces tours. Pas les Américains.
La chaleur est à la limite du supportable près du port sur l'Hudson, je me dépêche de prendre mes photos et je file. Comme si le choc de New York ne suffisait pas, il me fallait en plus un choc thermique...
Softball girl
Repris le métro sous le WTC (ma façon à moi de dire merde à Oussama), descendu à l'angle de Broadway et de la 50ème. Le temps de dépasser la queue pour le David Letterman Late Show et je m'arrête chez Duane Reade, la chaîne de pharmacie qui fait aussi supérette pour m'acheter de l'eau et un stick pour les lèvres. Est-ce que je vous ai dit que l'air était terriblement sec ici? J'ai besoin d'une période d'adaptation.
4:30 PM, Central Park, enfin, et l’espoir de terminer la journée au calme. Je trouve des gradins à l'ombre pour regarder des collégiennes jouer au softball. Elles ne sont pas très douées, mais qu'est-ce que j'y connais, de toute manière? Les battes en aluminium fendant l'air avec un sifflement caractéristique, et préviennent tout assoupissement de ma part. Je note grossièrement sur un carnet mes activités de la journée: déjà plein de trous dans mon emploi du temps, espérons que la mémoire me reviendra quand j'aurais repris mes esprits.
Pour le moment j'ai un peu de mal à secouer mon hébétude, mes yeux las fixés sur l'étudiante en short rouge et débardeur noir qui lance la balle aux gamines. Peut-être la plus belle chose que j’ai vue aujourd’hui.
2 commentaires:
J'ai cru prononcer la réplique culte de Laurent Gamelon dans PROFS :"750 pages de Sollers, la salope"!
Hé oui, quelle frustration, toutes ces lignes pour se voir refuser la photo de la lanceuse en short rouge et debardeur noir...et merde.
Mr Luke, Outside!:)
A plus pour le Day 4!
J'avoue, c'était vicieux de ma part. Mais console-toi, la photo était floue...
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